Le monde en 1778
Partout dans le monde, notamment en Europe, la diffusion d’idées nouvelles en littérature bat son plein. Les philosophes et les auteurs voient leurs livres publiés et, selon les tendances, critiqués ou encensés.
En France, 1778 est une triste année pour la littérature avec la mort de Voltaire le 30 mai et celle de Rousseau le 2 juillet. Les Lumières s’éteignent.
En Autriche, les protestants sont acceptés à la bibliothèque nationale autrichienne. C’est une avancée majeure dans l’acceptation des différentes croyances et philosophies. Aujourd’hui, avec plus de 12 millions de documents, dont près de quatre millions de livres, c’est la plus riche bibliothèque d’Autriche. Elle est chargée du dépôt légal, de la bibliographie nationale, du dépôt des travaux universitaires, et possède également d’importantes collections d’incunables, de cartes et de globes, de papyrus.
La même année, de l’autre côté de la planète, dans un pays qui sera longtemps qualifié de « royaume ermite », les choses sont bien différentes pour la littérature, la philosophie et la religion. En 1778, dans le royaume de Joseon, seuls les livres de Confucius et de Mencius ont droit de cité.
Le royaume de Joseon (조선) a été fondé en 1392 par le général Yi Seonggye mettant ainsi fin à la domination mongole qui durait depuis 1259.
À partir de là se succédèrent sur le trône les différents rois de la dynastie Yi. Cette période est notamment caractérisée par la mise en place d’une administration centralisée et le retour en force du confucianisme (on parlera de néoconfucianisme) et donc d’un nouveau système de valeurs que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de plus rigide ou, à tout le moins, de traditionnaliste.
Le règne de Jeongjo : la renaissance de Joseon
En 1778, c’est le roi Jeongjo qui occupe le trône depuis à peine deux ans.
Il est né en 1752 et mourra en 1800. Il est le 22ème roi de la Corée sous la dynastie Joseon.
Il marquera l’histoire de ce petit pays de son empreinte au cours d’un règne assez long de plus de 24 ans. On parlera souvent pour désigner cette période de « renaissance de Joseon », comme le mentionne la note historique présente dans Les romans meurtriers de Kim Tak-hwan : « l’une des périodes les plus prospères de l’histoire de la Corée, […] époque où le commerce fleurit, où de jeunes lettrés adeptes des sciences pratiques venues de Chine rêvent de rénover leur pays, où le roi fonde une bibliothèque afin d’y conserver les manuscrits royaux et les archives dynastiques, et met en place des réformes politiques et culturelles ».
En 1778, dans le royaume de Joseon, quelques écrits de philosophes chinois ou de stratèges militaires sont à peine tolérés. Toute autre forme de littérature est proscrite. Et celui pris à posséder des romans risque la mort. Par écartèlement.
Des crimes en série sur fond de querelles de doctrine
Deux partis s’affrontent. Les tenants de la doctrine de Confucius et de Mencius face aux réformateurs qui ont découvert d’autres types d’écrits et d’autres formes de pensée, notamment celle de Yaso plus connu en Europe, et dans le reste du monde, sous le nom de …Jésus.
C’est la trame de fond qu’a choisi Kim Tak-hwan pour Les romans meurtriers. Dans le Joseon de 1778, sous le règne du roi Jeongjo, une série de meurtres distille la panique dans le royaume et dans l’enceinte protégée du palais royal.
Auprès de chaque cadavre est laissé un des romans un des romans de Cheong Un-mong, romancier le plus populaire de l’époque. L’enquête est menée par Yi Myeong-bang, « dosa » de son état : fonctionnaire de la Haute Cour de Justice. Son attirance pour la pensée réformatrice défendue par les lettrés ne va pas lui faciliter la tâche.
Ce qui est remarquable dans ce livre, c’est de voir que, à la fin du 18e siècle, le royaume de Joseon vit, pense et agit encore comme il le faisait au début de cette période. Tout ce qui vient de l’extérieur, et donc de l’étranger, est suspect et mal vu. Les jeunes lettrés qui commencent à parcourir le monde et à revenir avec des pensées nouvelles sont extrêmement mal considérés. Et pourtant. Leur volonté d’amélioration des conditions de vie de la population pendant cette période est toute à leur honneur.
Comme à d’autres époques et sous d’autres latitudes, la confrontation de ces deux doctrines, sous fond de résolution de meurtres en série, fera des dommages collatéraux.
Le roi qui a quand même très envie de faire évoluer son pays et d’améliorer la vie de ses sujets pourra t-il faire sauter la chape de plomb qui pèse sur ses épaules depuis des millénaires pour emmener son Royaume vers la nouveauté ?
Une enquête haletante
Basé sur des faits historiques avec des mentions d’auteur ayant réellement existé et dont les écrits ont été publiés, Kim Tak-hwan nous entraîne dans une histoire palpitante. Et hallucinante, si l’on considère qu’elle se passe à la fin du 18e siècle. D’autant que c’est dans cette toute petite péninsule qu’a été imprimé le premier livre de l’histoire, bien avant la bible de Gutenberg. En effet, l’impression du Jikji, compilation d’extraits d’enseignement de bouddhas et de patriarches date de 78 ans avant la bible de Gutenberg.
Il n’en reste pas moins que, en 1778, tout ce qui n’est pas un écrit des pensées de Bouddha, Confucius ou Mencius est considéré comme hérétique et doit être détruit.
Toute l’enquête pour la résolution des meurtres sert de base pour l’auteur à la confrontation entre les anciens et les modernes et à l’exposé des philosophies des uns et des autres.
En quoi la doctrine de Confucius et de Mencius est-elle la meilleure pour maintenir l’ordre et la paix du royaume ?
En quoi l’ouverture vers l’extérieur de nouvelles doctrines, de nouvelles techniques, de nouvelles idées pour améliorer les conditions de vie des habitants de Joseon est-elle pernicieuse et dommageable ?
Telle est la question. Une question qui s’est posée en tout temps sur tous les continents. La sempiternelle lutte entre les anciens et les modernes. Qui l’emportera ?
Pour le savoir, précipitez vous sur Les romans meurtriers, de Kim Tak-hwan.
Les Romans meurtriers est disponible en livre de poche aux éditions Philippe Picquier. L’ouvrage a été traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel et publié avec le concours de la fondation Daesan.
Cet article a été publié sur le site korea.net le 7 juin 2023